dimanche 1 novembre 2009

Commémorons

Les commémorations sont ennuyantes et ce de façon implacable. La prochaine, officielle, qui s'annonce, n'y échappera pas. Et pour cause.
On nous invitera à "célébrer", les vingt ans de la chute du mur du Berlin, par extension celle du Bloc de l'Est, et de ces vilains bolchéviques.
On en profitera pour nous dire, que depuis ce jour
historique, où un pan de béton céda, les ressortissants des pays qui connurent le communisme vivent désormais épanouis.
Il est vrai que nos amis d'Europe Centrale et Orientale, passés du flicage généralisé à la misère, n'ont pas perdu au change. Qu'ils peuvent rendre grâce au FMI d'avoir rendu leurs économies compétitives, qu'ils peuvent louer leurs anciens tortionnaires d'avoir renoncé au marxisme-léninisme pour l'univers plus reluisant de la finance internationale.
Le site du NouvelObs propose aux Internautes de faire partager ce qu'ils ressentirent le 9 Novembre 1989. Je me suis plié à cet exercice citoyen avec zèle. Je peux allègrement livrer un témoignage du meilleur acabit, étant donné que je conserve tous mes souvenirs de cette année-là, la deuxième de ma présence sur terre.

"J'ai moi aussi versé une larme le 9 novembre 1989.
J'avais en effet égaré ma tétine préférée, celle que mes parents me confectionnèrent un soir de beuverie, avec le capuchon d'un biberon et le bouchon d'une bouteille de Gevrey Chambertin.
J'adorais téter. Ma passion pour les poitrines opulentes jamais démentie, était déjà solide à l'époque. Du reste ma nourrice, une épaisse alsacienne souffrit de ma voracité.
Ma mère, devant mes cris incessants, me colla une violente rouste en pleine poire.
Je me souviens de la passivité de mon père face aux gestes affectifs que Mère me délivrait. Tranquillement avachi dans un fauteuil du salon, Papa fumait la pipe, et se délectait de la lecture de vieux numéros d'Union, l'oeil lubrique et la main gauche dans le pantalon.
Soudain, alors que Mère était partie récupérer des cubis de Villageoise dans le coffre de notre Fiat Panda, la radio branchée à l'étage, interrompit ses programmes pour nous annoncer l'heureuse nouvelle: "Le Mur de Berlin s'est effondré cette nuit. Les allemands pavoisent, les russes déchantent, les américains jubilent, les togolais avouent ne pas avoir d'avis tranché. Tiercé, il fallait jouer le 12, le 16, et le 4. Prochain flash dans un quart d'heure."
Je me souviens que l'oeil de Père passa du lubrique au ravi. Nous qui comptions un vieil oncle injustement ostracisé à la Libération pour avoir servi au sein de la LVF sur le front russe, sentions que le temps du déshonneur était révolu, la réhabilitation de notre nom confirmée.
La joie imprégnait tout les visages. La Kronembourg coula à flots, et comble du bonheur, j'eus le droit ce soir-là de manger dans une assiette. Mes parents me fixaient constamment, voyant le monde futur plus sûr pour mon épanouissement. Le spectre du bolchevisme disparu, j'allais demeurer à l'aise dans le village global qui s'édifiait.
C'était chose acquise. La crainte du conflit nucléaire était évanouie. Tout comme celles de voir défiler les chars russes sur les Champs Elysées, et Jean Ferrat tous les jours à la télévision.
Le bonheur nous irradiait.
Le lendemain, nous nous rendîmes Place du Colonel Fabien à Paris, pour rire au nez de Georges Marchais. Nous fîmes en soirée, dans notre jardin, un feu avec de vieux exemplaires de l'Humanité, que la mairie communiste de notre bourg nous contraignait d'acheter sous peine de représailles musclées.
Qu'est-ce que nous avons pu nous verser comme larmes ce jour-là, conscients que nos frères d'Europe de l'Est allaient enfin goûter à l'ivresse qui est la nôtre! Celle de connaître la joie de nos pimpantes démocraties libérales!
Et ce n'est pas la jeune Zvetlana, 19 ans, qui se gèle en ce moment les gambettes au bord du périphérique parisien, en attendant le prochain client qui viendra m'objecter que depuis ce jour historique, l'Est vit heureux."

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