vendredi 18 mars 2011

140 piges et toujours là


-Pourquoi que tu t'es jeté sur la bouteille de Chénas ce matin? Je te savais poivrot, mais à ce niveau-là...
-Plus de champagne au frais, donc j'ai pris ce que j'avais sous le tire-bouchon.
-Je veux bien, mais avec cette actualité si désespérante, quelle raison valable pour se murger dès potron-minet?
-Une très bonne et vieille amie fête son anniversaire aujourd'hui. Je le célèbre avec elle par procuration vu qu'elle est allée prendre le soleil de l'autre côté de la Méditerranée, après avoir été vue en Grèce où elle effectue depuis au moins trois ans des séjours réguliers.
-Je la connais, cette grue?
-Oui. Elle est née sur le flan d'une butte le 18 mars 1871. Ce jour-là, elle annonça sa naissance à un gouvernement fantoche et capitulard de la plus éclatante des façons, en faisant assassiner deux de ses généraux prêts à faire couler le sang parisien. A peine née, elle était déjà très bavarde, la môme.
-Attends, tu me dis quelque chose là...
-C'est la Commune, bécasse! Tu sais, celle "d'un sang qui coula rouge et noir /d'une révolution manquée qui faillit renverser l'histoire".
-Ah, oui ces "sardanapales ivres de vitriol" de communards, fustigés en ces termes par Cattule Mendès. Cette révolte "semie-ouvrière et semie-policière" ralliée par Léon Daudet. Ces massacreurs d'évêques, ces pue-la-sueur en furie qui n'hésitèrent pas à incendier l'hôtel de Ville.
-Oui, on parle bien d'un des épisodes les plus réjouissants de l'histoire du prolétariat mondial, avec Octobre, et celle des Partisans dynamiteurs d'aqueducs et de nazis durant la Seconde Boucherie Mondiale. Je te parle d'une môme turbulente en diable, un peu légère, c'est vrai. Elle se serait attaquée à la Banque de France et aurait su marcher sur Versailles que son triomphe en aurait été total. Qu'elle n'aurait pas fini atrocement mutilée à coups de chassepot. Mais elle s'en est sortie à terme. Elle reviendra et annoncera des lendemains qui chantent pour de vrai.
-C'est  toi qui le dit. Rien n'est moins certain. Le peuple de Paris est-il prêt à se soulever aujourd'hui?
-Mais il se soulève le peuple de Paris! Quand il n'a pas la wi-fi au Starbucks, quand le prix de la botte de topinambours chez Naturalia connait une hausse exponentielle. Il se barricade aussi : dans des immeubles à digicodes et portse blindées, surveillés par des nervis à nuque rase qui durent faire leurs preuves dans la défunte police de Ben Ali.
-Mais y-a-ti-il encore un peuple à Paris?
-A sa périphérie, oui.
-Et l'espoir dans tout ça?
-Jamais défunt, quoiqu'on en dise. Malgré les manipulations des sondeurs d'opinions, qui feraient mieux de sonder leur trou du cul; malgré les oligarques tous plus foireux les uns des autres, ou encore des socialistes qui s'affirment gestionnaires de la misère planétaire. Moi, j'y crois, à l'insurrection qui vient.
-Elle est pas un peu ridée, ta pote? Les communards, où sont-ils?
-Partout! Les enfants de ma copine sont peut-être invisibles dans ton Jité du soir, dans les colonnes des torchons de la bourgeoisie, mais laisse leur le temps. On verra leur triomphe, le nôtre, de notre vivant.
-Et avant ça, tu me sers un coup de beaujolais?
-Avec une pointe de sirop de cassis au fond. On appelle ce coquetèle un communard, et c'est pas pour rien.
-Allez, gai rossignol, mon merle moqueur... Je froisse une dernière fois mon coude à lever mon verre aux insurgés de par le monde. Mais, après on arrête de se murger : demain y'a révolution, car tous les pauvres s'y mettront! Car tous les pauvres s'y mettront!