Il me reste onze jours pour tutoyer un bonheur, une allégresse que je pensais aussi lointaine que la Pointe du Cap. Encore onze petites journées à morfler, à vitupérer pour un rien, à traîner quelques désillusions. Le meilleur des Mondes s'annonce, et ce n'est pas pour me déplaire.
Le 19 décembre, donc, c'est l'ivresse qui revient. Et ça tombe bien, parce que mon agenda m'indique à cette date une rude journée. Le matin, j'ai rendez-vous avec mon podologue pour une sombre histoire de cors au pied, et aussi afin qu'il élimine de la pointe de mon pouce gauche une affreuse verrue, dont la vue en ferait gerber plus d'un.
Mère et moi sommes censés recevoir à déjeuner de la famille à la maison. Seront présents Mamie, au bonapartisme musclé, mon Tonton qui écoute RMC et sa grosse femme qui veut rétablir la peine de mort entre deux rasades de Ricard.
Le soir, il faudra essuyer une nouvelle fois un refus féminin de dormir en ma couche, sous des prétextes aussi étriques que foireux.
Et pour parfaire le tout, il n'y aura aucun bon film à visionner à la tévé, même les programmateurs d'Arte auront perdu le bon sens, en nous proposant de revoir Le jour et la Nuit de BHL, suivi d'une théma consacrée au supposé génie de Marguerite Duras.
Ce qui serait chouette, c'est que le caviste de la rue de Belleville soit ouvert ce jour là, et qui ne lui manque aucun litre de son petit Corbières, qui inscrit le sourire sur les visages, et aussi que le libraire de la rue du Jourdain revoit à la baisse ses tarifs et que son rayon Polar ressemble enfin à quelque chose.
Si quelques avanies se présentent de façon inexorable pour ce jour, il nous faut relativiser. Il est acquis que le Monde sera sauvé, grâce aux bonnes volontés conjuguées des cent quatre vingt douze nations réunies à Copenhague pour le sommet sur l'écologie dont tout le monde y cause.
Obama, il va montrer son sourire brite à la face du Monde, les Chinois seront devenus fréquentables, notre président à nous sera enfin calmé, et Jean-Louis Borloo pourra faire péter une caisse de champagne, et trousser Béatrice dans la foulée, car il aura contribué à SAUVER NOTRE PLANÈTE.
Arthus Bertrand et Cohn-Bendit, une fois la conférence achevée, iront parader à la tévé et dans les médias, dont ils sont d'ordinaire injustement exclus, pour nous dire qu'on vit "un moment historique", et que, braves gens, vous voyez qu'avec un peu de volonté, on peut accomplir de grandes choses. On se lancera dans une belle farandole, on ira parader dans les rues la mine heureuse, en rendant grâce, à nos dirigeants, pourtant minables, racistes, bellicistes et criminels, d'avoir fait baisser la température globale. Même que la nuit, on éteindra le radiateur dans la chambre pour s'en souvenir, et accomplir à notre humble niveau, un petit geste pour la planète, comme on se plie à le faire sans le rechigner, quitte à suer en bicyclette, et à se peler le fion en hiver.
On sera encore plus béats que quand on a fêté les vingt ans de la chute du Mur. Et ceux-là qui disent qu'on se trompe, que ça ne sert à rien de verser dans le millénarisme à la noix, que le capitalisme repeint en vert ça reste cacaprout, et bah, ils n'auront qu'à se regarder dans la glace, parce que les dauphins, les éoliennes, et les ours polaires, ils n'en ont rien à cogner, et que de toute façon, ils ne veulent pas faire d'efforts. Et que leur truc de justice sociale, leur communisme, c'est rien que de la poudre aux yeux, puis ça a pas marché, et que Obama quand même, il est plus sexy qu'Alain Badiou, qui fait rien qu'à râler. Que Julien Coupat, il exagère quand même.
Le 19 Décembre, c'est la Révolution pour de vrai, le triomphe tant attendu du Bien à chaque extrémité de la Planète. Revenus en enfance, qu'est-ce qu'on s'amuse quand même!
Même s'il est vrai que je trouve Obama plus sexy que Badiou, je n'ai pas non plus grande chose à faire des ours polaires... Cela dit,la justice sociale, contrairement à ce que pensent les communistes comme toi, est bien présente dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les pays du sud seront les premiers à en subir les conséquences et c'est peut-être ce capitalisme vert leur seule chance de bénéficier de l'aide des pays riches. Il est triste de devoir en arriver là pour que le nord commence renverser sa dette morale envers le sud, dette qui n'est bien sûr, par reconnue. Le seul argument ayant du poids dans cette situation est le sort de plusieurs milliards d'êtres humains. Il est facile de dire non à l'écologie sous prétexte qu'elle n'est pas une véritable "révolution" et pendant que nous débattons sur le sens ultime et profond de ce mot, les conditions de vie de 80% d'hommes et femmes de ce monde deviennent de plus en plus précaires. Mais non, nous refusons individuellement de faire des efforts pour réduire nos émissions de carbone, ce qui n'est que la preuve que nous sommes bien accommodés au système capitaliste que nous fournit tout le confort que nous souhaitons. Économiser l'eau? Pas envie, on en gaspillera sur le dos des habitants de régions sèches... de toute façon, les ressources naturelles je m'en tape! C'est ça ?
RépondreSupprimerL'environnement peut être une solution pour beaucoup de choses. Tout d'abord, changer nos habitudes de consommation,consommation de masse, à l'origine de ce système... L'environnement est aussi un risque politique car non exclu de devenir "le nazisme" du XXIème siècle. C'est pourquoi la participation citoyenne au débat est indispensable. Tu as bien commencé :)
Mon souffle est coupé devant un tel argumentaire...
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