mardi 16 novembre 2010

Aux exaltés, aux autres.

Il n'y a pas que chez les gnomes secoués de tics, se piquant de présider aux destinées du pays réel, que ça nourrit des envies de changement. Nous aussi, nous remanions. Nos désirs, nos aptitudes. Plus question de jouer les petits bras, et de se péter la tronche à Duvel, à compter cinq heures de l'après-midi, heure fatidique chez le poète moyen, celle qui sonne généralement le glas de sa sobriété. C'est l'Orval et la Chimay Bleue qui possèdent désormais notre confiance pour rendre la vie supportable, quoique les jours passant, on ait décidé à l'instar de Lucien Ginzburg, de ne pas faire long feu ici. Question d'élégance.

Donc, l'étudiant moyen, après sa brillante soutenance, son éclatant mémoire, a décidé de s'engager sur une autre voie historiographique. C'est à partir d'un faits divers que nous allons dresser les contours de notre prochaine étude grâce à laquelle nous devrons décrocher un diplôme qui ne nous servira à rien, sauf à compléter notre fierté, notre orgueil, de n'avoir jamais foutu les pieds dans une école de commerce ou n'importe quel école privée à plusieurs miliers de boules la scolarité; le tout pour apprendre à refourguer de la merde à des cons qui n'en ont pas besoin. Les cons sont vraiment cons de se laisser faire, soit dit en passant.


Si je te dis "Gros Léon"? Tu me réponds quoi? Léon Daudet, right. Redoutable pamphlétaire, à la verve outrancière mais géniale; le seul député de toute l'histoire de la République, qui tout en étant à la tête d'un  groupe parlementaire ridicule en nombre, pouvait se targuer à l'instar de Clemenceau, de faire chuter des ministères et de faire condamner des Malvy et des Caillaux à lui tout-seul.
Second de Maurras pour restaurer je-ne-sais plus quel Orléans sur le trône de France, Daudet et l'Action Frrançaise sont à l'apogée de leur audience sur la scène politique au lendemain de la première guerre mondiale. Dix millions de morts, presque autant de mutilés, Schneider a fait fortune, les pacifistes ont implacablement été réprimés: pour un nationaliste, ce serait dur ne pas être au comble de sa joie.
Mais, alors que l'on prédit à Daudet un rond de serviette aux côtés du lorrain chauvin Poincarré, ne voilà-t-il pas que certains se dressent pour empêcher le fils à son Alphonse de récupérer un maroquin ministériel. Les anars, car même s'il y'en a pas un ils existent toujours, au premier chef. Une anar en particulier: Germaine Berton, qui en janvier 1923 tue d'un coup de browning le chef des camelots du roi, Marius Plateau au siège de l'action française, rue de Rome. Pour son malheur, Maurras, Daudet, et Pujo étaient absents, sans doute occupés à jouer à la belote au troquet avec des ordures galonnées généraux en  retraite. En dehors du Libertaire, seuls les surréalistes, Breton et Aragon en tête, défendent et exaltent la geste de la jeune Germaine, une "marg'" un peu barge d'après les sources.

Quelques mois plus tard, c'est au tour du fils du Gros Léon de caner. Agé de 14 ans, sujet à des fugues chroniques, le môme bien qu'adolescent mesure un bon quatre vingt bien tassés, chaparde de l'argent à ses royalistes de parents, nourrit des rêves de Canada et de grands espaces. A la suite de sa dernière échappée du domicile familial, Philippe fréquente l'espace de deux jours les anarchistes parisiens, qu'il entretient de son désir de "faire un coup", en tuant le chauvin chauve Poincaré, notamment. Ceux-ci le mettent sur la voie de la raison, mais d'autres, moins bienveillants, sur celle de Pierre le Flaoutter, libraire anarchiste et pornographe, accesseoirement indicateur de Police, en rapport permanent avec le sous-chef de la sûreté. Le 24 novembre après être ressorti de la boutique de l'indic, Philippe prend un taxi dont il ne ressortira qu'avec une balle dans le citron, son visage harmonieux salement défait. Venus reconnaître le corps, le gros Léon et sa femme Marthe crient au complot. Pour les monarchistes, les anars sont tous plus ou moins des auxiliaires de surêté, aux ordres directs de la Gueuse pour empêcher le je-ne-sais-toujours-plus-quel Orléans de s'asseoir le fessier ferme sur le trône de France.

   Voilà ici quelques détails, sur le degré de violence des bagarres politiques dans le Monde d'Avant. Autre chose que de la "petite phrase" comme on fait aujourd'hui. Si je cause de tout ça, devant vous, camarades, c'est que si vous êtes en possession, d'un fasicule, d'un livre, ou de quelconque information susceptible d'éclairer mes lanternes, je vous en serais plus que reconnaissants.

 Une histoire bien sexy, bien poisseuse, où des exaltés de tous acabits se cherchent des crosses dans un contexte particulièrement crasseux. Avec ça, on est sans doute plus partis pour pondre un roman noir qu'un mémoire de masteur de seconde année. On va saupoudrer tout ça de chouettes notions conceptuelles, de façon à ce que ça passe pour notre directeur de recherches. Que ça fasse historien. Même si on va faire un peu du Léo Malet ou du Pécherot en moins bien.

Ami des exaltés, soutenez votre Rouletabille comme il se doit, il en a besoin...



3 commentaires:

  1. "Saint-Pol Roux, Raymond Roussel, Philippe Daudet, Germaine Berton, Saint-John Perse, Pablo Picasso, Georges De Chirico, Pierre Reverdy, Jacques Vaché, Léon-Paul Fargue, Sigmund Freud, vos portraits ornent les murs de la chambre du rêve, vous êtes les Présidents de la Republique des rêves."
    Aragon, Une vague de rêves, 1924 (citation approximative).
    Sur Aragon / Daudet - Berton : A comme Anarchie, d'Anicet aux cloches de Bâle, par Suzanne Ravis in Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet, Volume 7.

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  2. Merci, Monsieur Jo!

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  3. Et j'y rajoute une déclaration d'amour pour notre Rouletabille

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