lundi 11 octobre 2010

L'usure paie




-Alors, c'est bon, petite nature, tu reviens sur la blogosphère?
-Ouais, mon pote. J'ai chié mon mémoire de première année. J'escompte peut-être devenir historien un jour. Ou catcheur professionnel. Embrasser un métier qui demande des nerfs solides, du cran, ce qu'il faut de souplesse et de répondant. Le tout sans se faire trop mal.
-Ah, c'est décidé! Bientôt professeur d'histoire, alors?
-Je n'en sais encore foutre rien. Ce que je sais est que j'éviterai tant que possible de prostituer ma force de travail aux amis de madame Parisot, aux petits maquignons de la CGPME, aux enflures qui tiennent les cordons de la bourse.
-La leçon de cet été, l'as tu retenue au moins? On t'enjoint d'être pragmatique, et tu viens encore faire chier avec tes lubies luddites. Ce n'est pas raisonnable.
-C'est bien malgré moi, que je décide de me détourner du piège à bagnards qu'est le monde du travail. C'est si bon, comme le chantait ce vieux Louis, de ne pas rentrer dans leur jeu truqué. La ruse sera notre meilleure alliée à l'avenir.
-On va pas bien loin, à cogiter de cette façon.
-Certes. Mais aller loin, comme tu dis, dans la société spectaculaire-marchande, ne m'intéresse pas plus que de savoir le nombre de zézettes que Paris Hilton a dû chatouiller dans son encore jeune carrière. J'entends faire de mon mieux pour embrasser la meilleure position possible, qui ne soit pas qu'une posture, et à terme une imposture. En tireur couché, contemplateur avisé, le Vieux Monde va se ramasser quelques petites pichenettes sur le coin de sa sale gueule, je te dis.
-Il te reste du boulot, pour être une épée du dézingage. C'est pas du jour au lendemain qu'on devient une avant-garde à soi tout seul! Puis il y a toujours une sorte de conformisme, de facilité à s'improviser rebelle, mutin de panurge à force. Remember Muray.
-Ouais aujourd'hui Muray est en passe de devenir un phénomène de mode. C'est du dernier chic d'être réac, comme ça l'était de chanter pour les sans-papiers il y a quelques années. Moi, ce sera comme Desproges de toute façon. Mon cadavre sera piégé. Le premier qui le touche, j'y sauterai à la gueule.
-Tenir ce genre de discours, m'étonne que tu sois irrécupérable, qu'on tourne les talons à la vue de ta ganache frisée. 
-Ouais, la jeunesse, les gens comme on dit. Les post-chocs selon la théorie de Leroy. Fourier, Bakhounine, Marx, Debord, leur sont tout à fait étrangers. Ce n'est pas dans les amphithéâtres qu'on va recruter la fine-fleur des sardanaples ivres de vitriol. Les "résignés" pullulent.
-En attendant, fais quoi, tézigue, hein, pour faire valser les affreux? Crois t'y que c'est en tenant un blog, en te saoulant aux vins naturels, aux bières belges, en lisant des romans noirs, que tu vas précipiter le chambard? T'es qu'un étudiant, fils de CSP+, t'as appris à lire dans le Nouvel Obs', me dis-pas qu'il y a du Ravachol en toi, je ne te croirai pas.
-Pas du Ravachol, non. Sûr que comme le camarade Koenigstein, suis étreint d'un desespoir insondable. Ce qui ne doit pas nous conduire à rejoindre la cohorte des "résignés". Mais de la résistance passive à la résistance active, la frontière est mince, crois-moi.
-Demain, tu fous quoi par exemple.
-Suis dans la rue. Et il est question que nous nous y attaradions. Que nous improvisions quelques tonitruantes bacchanales. Et puis j'ai choisi mon camp, vois-tu. Je ne crois plus qu'au foutre, à la liqueur, et à l'insoumission généralisée, là où résident les derniers élans poétiques dans un monde désanchanté.
-Dis-moi, tu serais pas un peu fatiguée, dans tes derniers retranchements, pour nous pondre de telles inepties.
-Pour sûr. Mais l'usure paie, à force.

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