dimanche 15 mai 2011

La grâce d'une femme de chambre

Il m’a fallu descendre une bouteille de whisky entière pour me donner du courage avant de descendre au bureau de vote. En descendant vers la salle d’école primaire où l’on joue à la démocratie quelques Dimanches de l’année, j’ai manqué plusieurs fois de m’étaler sur le sol à la façon d’une merde de chien. Mes gambettes s’enfoncent irrésistiblement dans le sol, j’avance à genoux. Parvenu sur le perron de l’école, quelques électeurs me dévisagent avec dédain. Je leur rétorque qu’accomplissant mon devoir de citoyen à l’inverse de ces tordus d’abstentionnistes, je ne mérite aucunement la foudre de leurs regards. J’ajoute également que leurs tronches de CSP+ devraient être à la fête : leur candidat est assuré de gagner.

C’est le mois de mai, et il fait pourtant un temps de chiotte. Dans la file menant aux isoloirs, les citoyens portent tous des vêtements de pluie trempés. On manque de glisser à nouveau sur le lino avec les rigoles qui s’écoulent des k-ways des braves gens. Aux assesseurs, je soutiens que je ne prendrai qu’un seul bulletin. Que ça m’est déjà assez difficile de devoir voter pour « Machin », le sauveur à tous les pétochards, ces tartes friandes de cures d’austérité. « Monsieur, c’est dans l’isoloir que vous donnerez votre avis » me dit un assesseur avec une gueule de puceau, que l’on se demande par pour qui il vote.


Comme cinq années auparavant, en sortant de l’isoloir, je crains d’avoir fait une connerie. J’en ai fait une belle, c’est certain, c’est ce qu’on fait de plus courant dans un bureau de vote, mais là, c’est un peu plus grave. On m’a supplié de voter « Machin », et pas « Petit Machin ». Et je crains dans la précipitation d’avoir mis « Petit Machin » dans l’enveloppe plutôt que « Machin ». Mais je ne plus faire marche arrière. Les braves citoyens derrière l’urne me font signe d’avancer vers eux. Du fait de William Peel, j’ai du mal à tenir le stylo qu’on me tend pour signer en face de mon nom sur le cahier prévu à cet effet. Et pour mettre l’enveloppe dans l’urne funéraire pour les rêves, ça été du même tonneau. J’ai manqué de basculer en arrière quand le quinquagénaire socialiste bon teint actionna l’ouverture de la fente, impérieux et grave comme toujours dans ces moments-là. « A voté » tonne-t-il dans le demi-silence de la salle de classe désertée des poulbots de mon quartier.



Si je me suis déplacé, c’est pour faire plaisir aux copains et aux parents. Je n’avais envie que d’une seule chose en ce dimanche. Déjà de me remettre de la chouette biture de la veille au soir dans un bar de la Rue de Charonne. Les copains et moi, on s’était retrouvés-là, à demi-résignés, en se disant qu’on allait voter « Machin », l’économiste infaillible. Au sortir du premier tour, on se disait qu’on avait le devoir de voter blanc. Sauf que la médiacratie nous a fait le coup du « Petit Machin » sort renforcé du premier tour », et qu’on a flippé comme des lapins le jour de l’ouverture de la chasse. Qu’après tout « Machin » s’était résolu à faire des concessions sur sa gauche. Nos mamans ont tonné comme des buffles lorsqu’on leur concédait nos envies de voter blanc ou de glisser des poils de nos zézettes et de nos pilou-pilous dans l’urne. Leur faire un nouveau pied de nez à tous ces affreux, s’offrir l’occasion de leur signifier notre plus profond mépris ! Seulement, nos copines ont eu de la ressource pour nous inculquer le civisme et la pétoche, ce qui revient à peu près au même. Elles craignent qu’on morfle à vie, précarisés à jamais… « Machin » a certifié qu’au lendemain de son élection, ce serait « CDI pour tout le monde ». Donc, on est allés voter, parce qu’on est foncièrement lâche.
J’aurais vraiment préféré en ce dimanche pluvieux rester dans ma mansarde. Le matin au marché, j’aurais fait achat d’un poulot fermier, rôti, doré… Je l’aurais dépecé avec soin avant de le bouffer en entier, en commençant bien sûr par le croupion…. Un petit vin de Touraine frais eût constitué un bon compagnon d’agape solitaire.
Seulement, les autres, la trouille, la petite amie qui trépigne, qui fait chier… alors, on s’est déplacé pas beau, et on a voté pour « Machin ». Ce soir, on éteint la télé. Et on dort à poings fermés, par delà les mous, les affreux.

Nous avons appris, pas trop déçus ce matin, que ce scénario annoncé resterait par la grâce d’une femme de chambre dans les tiroirs de l’Histoire. On a beau être fauché, peu inspiré, familier des crises d’angoisse, on ne déchante pas trop.



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