Trois mois. Tu me dirais, c’est pas si sévère, au vu de ce que certains ont mangé pour le même forfait. Jacques Clément, Ravaillac, François d’Amiens, Caserio, Emile Cottin, le tas d’enragés du Petit Clamart. Tu t’inscris dans une longue tradition, bonhomme… Régicide, tyrannicide, présidenticide ! Ton nom aurait pu figurer aux côtés de ces furieux qui s’en prirent par le poignard, la bombe, ou la mitrailleuse, à l’incarnation du pouvoir de leur temps pour des motifs plus ou moins nobles.
Mais à l’inverse de cette masse d’enragés précités, tu n’as pas eu l’intention de tuer le chef de l’exécutif, mais juste de le chiffonner un peu. Et tu as bien du mérite, vu comment le zigoto en question est suivi à la trace par un bataillon de gardes du corps pareils à des mouches au cul d’une Blonde d’Aquitaine.
Oui, tu as bien du mérite, car à la façon dont tu t’es assuré que le costard du Président était confectionné à partir d’une étoffe solide, les mastards ont fondu sur ta personne avec application. J’imagine la douleur que tu as ressentie suite à la clé de bras que les larbins bodybuildés en question ont effectué sur ta personne. J’imagine aussi la gueule du juge qui a prononcé ta peine. Je suppute que l’accueil que te feront tes codétenus en prison sera des plus chaleureux. On t’excusera même d’être sans le sou et de ne posséder aucune ressource pour cantiner. Tu bénéficieras peut-être d’un accès privilégié à la salle de sport, et qui sait, les matons seront peut-être indulgents avec toi.
Hermann, sache qu’on est plusieurs ici à te témoigner notre soutien le plus entier. Beaucoup d’entre nous aimeraient posséder un peu de ce courage et de cette audace pour laquelle la Justice de la République te condamne aujourd’hui.
Déjà les médias qui marchent au pas de la talonnette présidentielle te dépeignent comme névrosé, inapte à la vie sociale, gagné par la rancœur suite à une désillusion amoureuse. Une condescendance qui vise à ôter toute signification politique à ton geste. Un employé de conservatoire municipal sclérosé du bulbe ne pèse en effet pas lourd face à l’homme qui dans son action quotidienne s’efforce de moraliser la finance internationale. Sans présager de rien, je suis au demeurant certain qu’à l’inverse de ta victime, tu n’as jamais fait reluire dans ton plumard un ancien mannequin transalpin refait du sommet du crâne à la racine des arpions. Non, on t’oubliera vite, et on rangera le citoyen venu demander des comptes au laquais en chef des possédants dans la catégorie des exaltés bons pour demeurer perpétuellement dans une chambre aux murs capitonnés.
Le président n’a pas porté plainte. Par le passé, à l’issue d’autres de ses déplacements où la foule lui criait sa colère, des préfets avaient été débarqués, des fonctionnaires de Police mutés sur de lointains ilots du Pacifique Sud. Vu qu’aujourd’hui, Sarkozy se « représidentalise », selon la bignolante formule consacrée, ceux-là n’auront rien à craindre. D’une grande mansuétude, notre chef bien-aimé des oligarques, fera peu cas de ton geste, et poussera même l’audace jusqu’à te convier un après-midi chez lui pour causer un peu, va savoir. C’est que d’ici moins d’un an, celui-ci risque d’avoir des trous dans son agenda…
Les seules informations à ton sujet font état que tu as des lectures subversives et un attrait poussé pour les musiques qui réchauffent l’âme quand celle-ci est endolorie à force d’évoluer dans ce mal-foutu monde. Un point de plus pour toi. Décidemment, on a tout pour s’entendre.
Ton fait, noyé dans la surcharge d’informations qui se déversent dans les Mass Merdias, n’intéresse déjà plus grand monde. C’est marrant « l’actualité » comme ils disent. Un prince monégasque aux allures équivoques épouse une nageuse bâtie comme mon tonton, celui qui est déménageur. Un célèbre amidoneur de col de chemises pour soubrette d’origine guinéenne va recouvrer la liberté puisque la négresse en question n’est qu’une affabulatrice intéressée comme toutes celles de son espèce par le fric et la possession intempestive de smartphones. C’est ce qui fait causer dans les gazettes. On en oublie la vaillance des grecs, et le cinquantenaire de la mort de Céline. Dur…
Mais pour ce qui me concerne, je te garde mon estime, mon souvenir ému, et te garantit que d’ici peu, les mauvais jours finiront.